Sommaire
- La vache
- La truite
- La mouche
- Le canard
- La poule
- Le lézard
- Le syrphe
- Bécasseaux Sanderling
- Le chat
- L’araignée
- Martinets
- Le bourdon
La vache
Celui qui n’a jamais prêté attention à l’éloignement d’une vache depuis l’endroit où il se trouve, n’a sûrement pas admiré l’élégance avec laquelle cet animal meut son arrière-train.
Les saillies anguleuses de son bassin cessent d’afficher leur dureté, s’effaçant devant une démarche chaloupée.
Les pattes se déroulent jusqu’à la pointe des sabots, lesquels trouvent un appui sûr à chaque enjambée,
tandis que la queue de l’animal, dans un balancement tranquille et contraire, semble rythmer ce que l’on peut appeler un mouvement gracieux.
La truite
Au-dessus du pont, j’observe la truite nageant à contre-courant,
son ondoiement tranquille et répété dans cette eau qui afflue sur son corps souple.
La fluidité de son mouvement s’apparente à celui de cet élément, contre lequel elle semble ne pas lutter.
Elle fait corps.
Ainsi
dans le lit de la rivière
fruit d’un effort minimal et invisible
Cette lévitation horizontale.
La mouche
Dans l’air environnant, une mouche.
Elle trace, lentement, une droite, puis soudain, semblant rencontrer un obstacle invisible, rebondit, dans une autre direction, traçant maintenant une nouvelle droite.
Celle-ci, reliée à la première par le point de divergence précédemment créé, rencontre un nouveau plan contre lequel elle vient buter,… semble-t-il.
Notre mouche repart une nouvelle fois, dans une nouvelle direction, pour tracer une nouvelle droite.
Tout à coup, une force contraire la repousse à nouveau, violemment. Une impulsion, dont elle semble jouer, la propulse droit devant.
Chaque fois c’est une accélération suivie d’une décélération ainsi qu’une suite de sauts.
Cependant, nulle trace d’agitation forcenée, d’excitation désordonnée. Bien au contraire !
C’est le ballet aérien d’une petite danseuse ailée
libre
Libre de jouer, et de son corps, et du moment
composant ainsi
une secrète géométrie.
Le canard
Sur l’étang, un petit groupe de canards. Au-dessus d’eux, un jeune mâle s’apprête à se poser. Son approche paraît gauche. Ailes grandes ouvertes, pattes en avant, son corps semble ballotté dans un mouvement non maîtrisé, non stabilisé…
Erreur ! L’oiseau se joue de la gravité : il embrasse l’air sous ses ailes et, par un balancement savamment contrôlé, s’adapte en temps réel à son flux ! Il assure !
Quelques mètres encore afin de réduire sa vitesse, puis le vol devient plané, à fleur d’eau, pour s’éteindre dans un arrondi délicat.
Alors, pattes et ventre pénètrent l’onde élastique de leur masse chaude et vivante. Notre oiseau s’abandonne, dans une éblouissante traînée d’écume. A ce moment, l’onde semble s’écarter, le laissant libre, tout en le retenant.
Le canard remue la queue de contentement et lisse son plumage.
La poule
Des dizaines de fois par jour, la poule grattant la terre, bec et ongles en action. Le sol est un garde-manger : larves, vers, graines, débris divers, fragments de pierre à destination du gésier.
Gratter, une nécessité.
A-t-on déjà décrit comment elle procède ?
La poule doit se sentir en sécurité : nul prédateur en vue, nul étranger de passage… Le travail peut commencer, se répétant jusqu’à ce que notre poule (appelons la Charlotte) y mette fin.
Dans un mouvement latéral chassé d’avant en arrière, elle déblaie le terrain d’une patte, puis, utilisant cette dernière comme appui, répète ce mouvement avec l’autre patte dans le sens opposé.
Sous le regard de ses congénères, Charlotte se redresse. Sa poitrine se gonfle légèrement, signe peut-être de l’importance du moment où tout est encore possible. Elle plonge soudainement la tête vers le bas tout en reculant légèrement son corps, observant la surface du sol. Quelques menus grains se présentent, elle picore. Puis, elle poursuit de-ci de-là…
Si on se trouve à quelques pas, derrière l’animal, de triviale la scène devient tout autre :
Un arrière-train moussu s’offre à nos yeux. Il se dandine, à droite, à gauche puis de nouveau, à droite, à gauche tandis que les pattes patinent. Le cou s’abaisse, glisse dans son fourreau, disparaît, tandis que le croupion remonte en s’épanouissant.
Si le vent est de la partie,
notre Charlotte devient Lady
une rose anglaise
que la brise effleure.
Le lézard
Pause salutaire dans cette montée que je connais bien, là où habite le lézard. Entre deux marbrures d’ombres noires, sur le rocher de grès rose, c’est bien lui. Immobile, faisant corps avec son support, pattes et doigts écartés.
Sa longue queue de petit crocodile, si vulnérable et si tranquille, repose.
Une légère palpitation sous la gorge trahit les battements de son coeur. A cette heure de la journée, la pierre est chaude, son corps aussi. Un oeil rond, noir vous fixe.
Soudain, alors qu’on le pensait figé dans sa torpeur, un léger mouvement de votre part l’anime. Il reprend vie.
Faisant fi des aspérités, il glisse sur le rocher, tel un fluide.
Son bassin, entraîné par ses pattes avant, se déhanche, entraînant sa queue derrière lui tel un petit fouet d’enfant. Il a disparu.
Il ne reste plus que deux marbrures d’ombres noires sur le rocher de grès rose.
Le syrphe
Devant mes yeux, suspendu, un syrphe curieux.
A chacun de mes mouvements, un micro-déplacement.
Sa suspension automatique n’est pas de son ressort
C’est le fruit de ses ailes
vibrantes
dans la chaleur de l’été
Petit ludion dansant, ceinturé d’or et de noir,
tu laisses entrevoir
l’indiscernable.
Un dialogue perdu, une communication des corps.
Bécasseaux Sanderling
Les bécasseaux se jettent en filet sur la plage. Se met en branle une armée de piqueurs où chacun darde son bec à qui mieux mieux dans le sable. Une vague survient, repousse les affamés : c’est le repli stratégique à coup de petits pas en rafale, en quelques coups d’ailes pour les novices et les pressés.
L’estran se découvre à nouveau. Aussitôt, presto, c’est le volte-face de toute une armée, rythmé par on ne sait quel chef invisible. Les pattes sont baguettes, mues par une mécanique de précision. Par dizaines, elles parcourent l’espace sableux et humide. Là, chacun s’affaire jusqu’à la vague qui reprend ses droits.
Soudain, la plage se vide…
Le chat
Il en est du chat comme d’un dieu :
sa beauté ne saurait révéler son mystère.
Elle n’en est qu’une de ses manifestations.
Ainsi lorsqu’il trotte devant vous sur le carrelage.
Votre vue plongeante identifie d’abord cette forme souple, dont la fluidité est magnifiée par le sol lisse. Le chat fait corps avec son support lui empruntant sa qualité. Il s’éloigne au petit trot.
Aucun faux pas, il rebondit.
Rien de trop, tout est dit.
Une vérité apparaît.
Sûr de lui, il sait.
Tandis que son corps glisse
dans une coulée d’air
le monde s’ordonne
selon ses désirs.
L’araignée
La fuite de l’araignée, en pleine lumière, trahit la peur qu’elle peut inspirer. Loin de son repaire, sa vulnérabilité s’affiche.
Ses huit pattes – à moins qu’il y en ait davantage à ce moment – s’activent incroyablement, c’est tout ce qui lui reste d’impressionnant ! L’idée que l’on se fait de l’affolement se matérialise ici dans ce déplacement.
Lorsqu’elle s’arrête soudain,
au milieu de nulle part
pour « souffler » peut-être,
elle semble réfléchir,
devenant ainsi,
elle-même,
le point central de son interrogation.
Puis, soulevant sa masse ventrue, la portant à bout de bras, elle s’entête et reprend sa course vers un hypothétique refuge.
Martinets
Le rouleau du ciel a déroulé sa couleur.
Par la fenêtre ouverte
Flèches ailées de l’été
Les martinets !
Ivresse des cris
Souffle des ailes
En rangs serrés
Se poursuivant
Virgules, apostrophes
Grammaire du ciel
Petits avions en formation
Tranchant l’air
Le bourdon
De quel événement cette fleur là est-elle le réceptacle ?
C’est un bourdon
petit rabot poilu
miaulant dans son assiette.
Couché sur le flanc
il fait le tour
s’accroche aux étamines
lèche sa pitance.
Il connaît son affaire !
La valse reprend
se poursuit goulûment
encore un tour
il en reste !
Voilà c’est fini
pour cette fleur ci !
Un bourdonnement retentit, s’élève dans les airs.
C’est reparti !