« Je déteste les montagnes, ça cache le paysage. » Alphonse Allais
Gustave Roud
« D’herbe en herbe le givre redevient rosée ; au-delà des touffes d’aulnes et de frênes, un vent de nulle part joue avec les fumées villageoises et, tout au bord du ciel, les montagnes dessinées à la neige flottent sur un banc de brume bleue si fragile et si triste que le cœur n’ose plus. »
Bouvreuil. Air de la solitude. 1945
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Julien Gracq
« Nous monterons plus haut. Là où plus haut que tous les arbres, la terre nappée de basalte hausse et déplisse dans l’air bleu une paume immensément vide, à l’heure plus froide où tes pieds nus s’enfonceront dans la fourrure respirante, où tes cheveux secoueront dans le vent criblé d’étoiles l’odeur du foin sauvage, pendant que nous marcherons ainsi que sur la mer vers le phare de lave noire par la terre nue comme une jument. »
Aubrac. Liberté grande. 1969 (3è éd)
« Il fait un jour de fin d’hiver clair et froid, de ce bleu métallique et luisant de zinc neuf qu’on voit au ciel des dernières gelées quand les jours allongent ; la sécheresse de ce froid est tonique et exhilarante. L’envie brusque m’a traversé, je ne sais pourquoi, d’être transporté aux pointes de Bretagne, dans le fleuve de vent acide, corrugant, qui décape les petites maisons blanches, sur la côte saliveuse et fouettée, vers la mer qui dans chaque échancrure grumelle et monte comme la neige des oeufs battus. Là où les soleils du matin, que j’y ai adorés, sont plus neufs, plus blancs, plus crayeux qu’ailleurs » […]
Noeuds de vie. Editions Corti 2021
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Philippe Jaccottet
[…] « Ailleurs est dite par les prés une parole encore plus lointaine et plus merveilleuse : dans ces sortes d’enclos où veille un seul peuplier, où quelques mûriers s’arrondissent, où j’aperçois encore une dizaine de moutons groupés, à contre-jour, bientôt dans l’ombre. Qu’est-ce qui accorde si parfaitement ces quelques bêtes à l’herbe haute et à l’huile du soir ? » […]
Soir. Paysage avec figures absentes. NRF Gallimard 1976
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Olivier Domerg
[…] « Ça et là, inscrite dans les creux, l’incise des ruisselets en zèbre un peu le flanc (on sait maintenant d’où proviennent les écoulements).
Exposés à tous les vents, quelques pins chétifs survivent; on se demande bien comment ?
L’érosion du texte est si grande, qu’il nous faut y planter des mots extrêmement vivaces et résistants, avant même d’envisager des phrases de reboisement. » […]
Portrait de Manse en Sainte-Victoire molle. L’Arpenteur Gallimard 2011
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Maurice Genevoix
« Le sentier d’agrainage dont j’avais suivi les méandres longeait maintenant une jetée herbue. Je la gravis, l’étang s’éploya sous mes yeux. Quel étang ? Loin à la ronde je croyais les connaître tous. Celui-ci non, et la nuit n’y était pour rien. Il comblait le fond d’un vallonnement à pente douce, ceinturé de roseaux desséchés par l’été. De hauts peupliers d’Italie fusaient au bord de cette ceinture, chacun d’eux reflété comme sur une plaque d’argent, ou plutôt répété comme au fond d’un autre ciel, tant l’image renversée apparaissait semblable, feuille pour feuille, à travers un semis d’étoiles. » […]
« Le crépuscule s’attardait encore, hésitait au seuil de la nuit. J’entrepris de contourner l’étang, tâtant du pied le sol de la sente qui sinuait derrière les roseaux.
Le même silence. Un gland qui tombait d’un chêne, rebondissant de branche en branche, éveillait des échos sans fin. Le trottinement d’une musaraigne, le sibilement imperceptible d’une cane dans la jonchère, tous ces chuchotis de la nuit rendaient encore plus saisissante l’absence de tout bruit humain. La lune monta entre les peupliers, et l’espace s’illumina. »
Un jour. Editions du Seuil 1976
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